
Hugo a 26 ans et il est inspecteur. Oui comme l’inspecteur gadget, le trench et les gadgets en moins (quoique). Hugo est inspecteur au sein de l’Inspection Générale d’une grande banque française. Voici son parcours et son métier, méconnu mais passionnant.
Qui es-tu ?
Je m’appelle Hugo, j’ai 26 ans et je suis originaire de Grenoble. Je suis inspecteur pour une grande banque française, j’aime jouer au tennis, nager et m’informer sur le sport en général. J’aime aussi cuisiner et manger, je suis un épicurien, spécialiste du déglaçage d’oignons à la bière ! Mais ce que j’aime le plus c’est passer du temps avec ma bande de potes, la plupart originaires de Grenoble dont certains que je connais depuis plus de vingt ans.
Quelle est l’histoire de ta famille et que t’a-t-elle apporté ?
Je suis un quart vietnamien par mon père, un quart suédois par ma mère et moitié français. La famille du côté de mon père vient du petit village de Trà Vinh à 2h de Saigon (Hô Chi Minh Ville). Mon grand-père avait quitté le Vietnam à 17 ans, pour venir faire ses études de médecine en France et n’y est retourné que 50 ans plus tard avec mon père. Mon grand-père maternelle était lui suédois originaire de Söderhamn, petite ville au Nord de Stockholm, il a rencontré ma grand-mère en France où il passait du temps dans un cadre professionnel.
« La gastronomie a vraiment été le vecteur de transmission des origines de ma famille. »
Mes parents n’ont pas appris leur langue paternelle mais ils m’ont transmis leurs différentes cultures via la cuisine. Mon père est peu expansif comparé à mon frère, ma soeur et moi. Par cet aspect il s’inscrit parfaitement dans la culture vietnamienne qu’il m’a véritablement transmise via la gastronomie car c’est un excellent cuisinier. Je lui dois, entre autres, la maîtrise du Pho, la soupe classique vietnamienne, des rouleaux de printemps et des travers de porcs à la citronnelle. Tandis que ma mère m’a fait découvrir le rectte du saumon Gravelax, une spécialité des pays nordiques datant du Moyen-Âge. À l’époque les pêcheurs salaient le saumon et le faisaient légèrement fermenter, enterré dans le sable, à l’écart des marées. Aujourd’hui on le déguste avec du sel donc, du poivre blanc et de l’aneth, sur du pain croquant suédois, un délice ! Ainsi la gastronomie a vraiment été le vecteur de transmission des origines de ma famille.
Quel est ton parcours d’éducation ?
J’ai fait toute ma scolarité à Grenoble dans le public, dans un périmètre géographique très restreint. J’ai ensuite intégré une prépa (classe préparatoire aux grandes écoles ndlr) par mimétisme avec ma soeur de 9 ans mon aînée qui s’était vraiment épanouie dans ce parcours et avait pu faire des rencontres exceptionnelles ce que je regardais d’un oeil admirateur. Je suis entrée en prépa avec l’idée d’intégrer son école et par chance, à peu de choses près, c’est la seule que j’ai eue. J’ai donc fait quatre ans, entre Lille et Nice où se trouve le campus du parcours finance que j’ai suivi. Je faisais partie de l’association de finance de l’école, qui s’occupe d’organiser la European Finance Cup qui voit s’opposer plus de 3000 étudiants sur le thème de la finance. C’était aussi un bon moyen de créer de fortes amitiés avec les autres étudiants de l’association tout en gérant un budget et des projets, notamment la Soirée Bulles (un Open Bar au champagne) dont j’avais la responsabilité.
Pour ma troisième année, l’année de « césure », j’ai décroché un stage dans une grande entreprise française du CAC40 qui m’a permis de découvrir le monde de la finance de marché du point de vue de l’entreprise. J’étais en charge de la préparation des opérations de change de flux entre la maison mère et ses filiales du monde entier. Grâce à ma maître de stage j’ai ensuite pu intégrer une grande banque anglaise où j’ai découvert la finance de marché mais cette fois du point de vue de la banque. J’étais dans une équipe de Sales comme on dit dans le jargon (vendeurs) de produits financiers dérivés simples.
« Mon expérience dans cette banque m’a laissé un goût amer, notamment à cause d’un type de management assez déshumanisé. »
On les appelle les produits « vanille » car la vanille a un goût simple et reconnaissable par tous, c’est la base de la crème glacée, par opposition aux produits « exotiques » plus compliqués. Un produit « simple » ou « vanille » c’est par exemple un mascara que tu vends, qui serait composé de seulement deux ingrédients. Un produit plus « compliqué » ou « exotique » ce serait un mascara composé de plein d’ingrédients, parfois eux-mêmes composés de plusieurs ingrédients et destiné à une clientèle aux besoins très particuliers.
Mon expérience dans cette banque m’a laissé un goût amer, notamment à cause d’un type de management assez déshumanisé qui veut que les personnes les plus en bas de l’échelle soient traités comme de la m**** pour se « forger ». Si vous avez vu le film « Le Loup de Wall Street » vous comprendrez. L’expérience m’a un peu refroidi sur l’ambiance « salle de marché ».

Enfin ma dernière année d’études s’est déroulée à Nice, avec une qualité de vie incroyable. J’ai repris le tennis en compétition et j’ai pu me préparer tranquillement à entrer pour de bon dans le monde du travail.
Que fais-tu actuellement ?
Actuellement et depuis la fin de ma dernière année d’étude à Nice, j’ai intégré l’Inspection Générale d’une grande banque française. L’Inspection Générale c’est un corps à part de la banque qui a la tâche essentielle d’évaluer l’efficacité du dispositif de maîtrise des risques de la Banque, de ses différents métiers et de ses différentes filiales à travers trois types de missions :
- la mission monographique : la revue de toutes les activités d’une entité. C’est le type de mission que j’ai effectué au Brésil.
- la mission thématique : la revue d’un sujet de manière transverse dans la banque. Par exemple lors de la mission Trésorerie, nous avons revu cette activité sur différentes places, notamment à New York, Hong Kong et Tokyo.
- la mission spéciale ou « mission pompier » : qui survient après un évènement critique et ponctuel (par exemple un cas de fraude avéré dans la Banque, le changement brutal d’une réglementation). J’ai pu prendre part à ce type de mission à Milan. C’est aussi ce type de missions qu’ont effectué les inspecteurs après qu’ait éclaté l’affaire Kerviel à la Société Générale.
Je peux citer Maxime Crespel, inspecteur chez BPCE qui définit très bien notre métier : « Une entreprise sans risque est une entreprise non rentable et non pérenne. Nous devons nous assurer que les risques pris sont les bons, c’est-à-dire des risques maîtrisés et pilotés. L’affaire Kerviel a été vécue par toutes les banques comme un accident industriel, et nous veillons à ce qu’un tel accident ne se produise jamais ».
Ce programme est une chance inouïe pour des jeunes diplômés de découvrir la banque de façon transversale et internationale. Mes missions portent sur des sujets à chaque fois différents et je suis amené à voyager dans le monde entier tout au long de l’année.
Qu’aimes-tu particulièrement dans ton quotidien ?
J’aime particulièrement les voyages et les rencontres liées à ce travail. Quand nous sommes envoyés en mission, nous devons beaucoup travailler, souvent tard le soir et parfois le week-end mais nous avons des conditions de vie qui nous permettent de donner le meilleur de nous-même. Nous sommes logés dans des hôtels de luxe et nous avons un budget alloué par jour pour nos frais de bouche. En trois ans ce métier m’a permis de découvrir des spécialités gastronomiques incroyables et une multitude de lieux fabuleux à travers le monde, que je n’aurais sans doute pas eu le temps de visiter par mes propres moyens en deux décennies ! Dans les moments où je ne travaille pas, je m’organise pour découvrir un maximum le pays dans lequel je suis. J’ai été particulièrement séduit par le Japon et le Brésil où j’ai eu la chance d’effectuer des missions de plusieurs semaines à chaque fois.
« C’est vraiment le rapport humain qui me plaît le plus. »
Mais ce que j’aime le plus dans ce métier c’est de pouvoir interagir avec des personnes totalement différentes (poste, hiérarchie) et d’être confronté à des cultures totalement différentes. Je me sens particulièrement à l’aise dans les relations interpersonnelles (certains de mes proches me disent qu’ils me verraient bien faire de la politique ! ) et c’est une qualité qui fait ma principale force à ce poste. C’est vraiment le rapport humain qui me plaît le plus.

Comment es-tu reçu par les équipes locales ?
On a un positionnement dans la banque assez compliqué, car on est tous super jeunes à l’Inspection, récemment diplômés sans technicité et sans expertise. On vient contrôler les métiers des gens avec la prétention de leur dire comment ils devraient faire ou ne pas faire leur travail et cela peut être très mal perçu. Par exemple pour ma première mission à New York, je bossais jusqu’à 2h ou 3h du matin et parfois même le week-end, dans un bureau de trois mètres sur deux, sans fenêtre. Je n’ai pas pu voir grand chose de la ville cette fois-là.
« Et tous les autres qui criaient « He took the chair of the boss ! »
C’était une mission sur l’activité de trading, j’allais tous les jours voir un trader référent sur son desk (son bureau dans la salle des marchés). Un des traders voyant arriver le jeune inspecteur que j’étais avait voulu me faire une blague. Ils m’avait dit de prendre le siège du boss de la salle des marchés (je ne savais pas que c’était le sien). Je m’installe tranquillement à côté de mon trader et d’un coup, je sens ma chaise tirée en arrière. Je perds l’équilibre, je me lève et je vois un mec, deux mètres vingt, chauve, regard noir, il savait que j’étais de l’Inspection, qui me reprend violemment la chaise. Et tous les autres qui criaient « He took the chair of the boss ! He took the chair of the boss ! »(« Il a pris la chaise du grand chef ! » ). Je ne savais plus où me mettre. (rire)
Mais cela peut aussi être vu comme un avantage, comme lors de ma mission au Brésil où le responsable de l’entité venait d’accéder à cette fonction. Il a vu notre arrivée comme une opportunité pour commencer son mandat sur des bases saines et comprendre dès le départ les principales défaillances de son entité.
C’est justement aussi pour cette jeunesse et cette « non expertise » que nous sommes recrutés à l’Inspection, car cela nous permet d’apporter un regard neuf et objectif sur la banque et de comprendre (souvent) ce qui ne va pas, parfois concernant des activités qui ont du mal à se remettre en question.
Comment gères-tu les différences de culture ?
On ressent beaucoup plus les chocs culturels avec les opérationnels car au sein d’une banque française, le top management des entités doit être francophone. Nos investigations sont d’abord menées avec les opérationnels en direct et c’est là que l’essentiel du travail se fait. On doit se mettre à leur place et comprendre leur façon de penser pour identifier les améliorations à intégrer.
« La plus grande claque culturelle que j’ai prise c’était au Japon. »
La plus grande claque culturelle que j’ai prise c’était au Japon. Les Japonais ont un rapport à la hiérarchie très particulier, assez glaçant, surtout par rapport à leurs managers français au sein d’une banque française. Ils sont tellement respectueux de la hiérarchie que cela leur fait parfois faire des choses complètement délirantes. Ils montrent peu de flexibilité dans l’interprétation des règles et les suivent à la lettre. Certains ne posent pas de question et si un processus les amène à sortir du cadre, cela va totalement les inhiber et les bloquer dans leur travail.

Pour un japonais rentrer à la maison à 19h c’est honteux. Cela veut dire qu’il n’est pas un bon travailleur vis-à-vis de la société, de son entourage et en premier lieu de sa femme. Les japonais restent donc au travail très tard, même s’ils n’ont rien à faire. Ou ils se retrouvent au bar pour boire des bières entre collègues pour faire passer le temps avant de rentrer chez eux. Cela leur permet de sauver l’honneur mais donne lieu à des scènes cocasses où des groupes entiers d’hommes japonais se retrouvent complètement bourrés dans la rue, en costume de bureau, en plein milieu de semaine.
Qu’aimes-tu le moins dans ton travail ?
Au quotidien je suis parfois amené à effectuer des tâches qui ne servent à rien et qui n’ont pas beaucoup de sens selon moi et c’est très frustrant. Il y a plein de processus qui gagneraient à être améliorés et optimisés mais qui ne dépendent pas que de moi. On ne perdrait pas en valeur mais on gagnerait au contraire en profondeur dans les analyses qui, elles, ont du sens.
« Au bout d’un certain temps j’ai atteint une espèce de fatigue mentale. »
Concernant ma mobilité constante, après trois et demi d’exercice et 65 semaines passées à l’étranger, je pense avoir un discours différent aujourd’hui de celui que je tenais à mes débuts. Découvrir des pays et des cultures différentes est une chance incroyable mais vivre toujours à l’hôtel, pendant des semaines, manger exclusivement à l’extérieur, rater les moments importants, les anniversaires, les réunions familiales… Parfois je fais l’effort quand c’est vraiment important comme cette fois où j’ai fait l’aller-retour depuis Singapour sur le week-end pour assister au mariage civil de Calixte et Lucas. Mais c’est rare et exceptionnel. Au bout d’un certain temps j’ai atteint une espèce de fatigue mentale. C’est d’ailleurs un métier qui est déconseillé aux personnes en couple ou avec une famille et c’est aussi pour ça que les inspecteurs sont recrutés parmi les jeunes diplômés : plus mobiles et encore sans attache familiale.
J’ai pourtant décidé de continuer encore deux ans car je viens d’être promu chef de mission et j’aurais eu le sentiment de ne pas avoir été au bout de mon expérience si je m’arrêtais là. Je ne me projette pas forcément toute ma vie dans la banque et pour moi un parcours à l’IG (Inspection Générale) a beaucoup plus de valeur vis-à-vis du monde extérieur quand il est mené à son terme. Un parcours d’IG dure au maximum sept ans selon les banques. Ensuite les inspecteurs choisissent en général un métier qu’ils aimeraient exercer dans la banque et se sédentarisent. En tant que chef de mission je vais être amené à manager des groupes pouvant aller de deux à huit personnes et c’est quand même une chance d’avoir autant de responsabilités managériales aussi jeune et si tôt après mes études.
De quoi es-tu le plus fier ?
Dans mon travail je dirais que je suis fier d’avoir toujours respecté un niveau de professionnalisme élevé, d’avoir su sans cesse me remettre en question en identifiant mes défauts et en prenant du recul sur ce que je fais. Par exemple à mon arrivée j’étais quelqu’un d’assez peu organisé et j’ai réussi à progresser sur cet aspect indispensable pour réussir à l’IG. Idem pour mon anglais, je me suis efforcé de progresser afin de pouvoir communiquer avec tout le monde de façon fluide.
« Je suis hyper fier d’avoir la bande d’amis que j’ai (…), ils font ressortir le meilleur de moi-même. »
Dans ma vie privée ma fierté c’est ma famille et ma bande d’amis. Ils représentent pour moi un socle, un cocon que je suis heureux de retrouver à chaque retour de mission et qui me régénère et me bouscule quand j’en ai besoin ! Ils font toujours ressortir le meilleur de moi-même.
Je suis aussi assez fier de l’image que je peux renvoyer auprès de mes parents, je n’ai pas toujours été le fils modèle, j’ai comme tout le monde mes parts d’ombre mais je pense leur renvoyer aujourd’hui l’image d’une belle personne ce qui est important pour moi.
Quelle est la personnalité qui t’inspire ?
Dernièrement je suis tombé sur une interview de Bernard Tapie sur BFM. Il a eu un cancer, il est en cours de chimio et honnêtement, je me suis dit que ce mec était vraiment très inspirant. Parce que d’abord c’est quelqu’un qui est parti de rien, un provincial. C’est un petit provincial qui est parti de rien et qui ne s’est fixé aucune limite pour arriver où il est à force de détermination. Au-delà des entreprises qu’il a redressé, il était très impliqué dans le sport, notamment dans le cyclisme et le foot que j’affectionne particulièrement. D’ailleurs je voulais être journaliste sportif quand j’étais petit mais j’avais laissé tomber car c’est un milieu qui me paraissait très fermé, difficile d’accès sans le bon réseau.
« Il a toujours fait ce qu’il voulait et a librement assumé ses envies. »

alors qu’il en était le président en 1993.
Pour en revenir à Bernard Tapie, c’est quelqu’un qui, par ambition, a souvent frôlé les limites, les a même parfois dépassées mais je pense que contrairement à d’autres, il a aussi pas mal payé pour ça, notamment en passant par la case prison. Ce qui m’a vraiment marqué chez ce personnage c’est qu’il a toujours agi en homme libre, sans rendre de compte à quiconque et en passant outre l’ordre établi. En tant qu’homme politique, bien que ne venant pas de ce monde là, il a été l’un des seuls à oser affronter Jean-Marie Lepen, qui était, quoiqu’on en pense, un monstre de personnalité. Il avait le bagou et le charisme nécessaires pour pouvoir répondre à ce type d’animal politique. Ce n’est pas quelqu’un de parfait loin de là mais je le trouve inspirant. Ses erreurs et ses fautes nous rappellent que ce n’est qu’un homme, un homme libre de ne pas plaire à tout le monde.
Si tu étais un animal, lequel serais-tu ?
Alors, certainement pas un rat ou un pigeon, qui en plus d’être des animaux peu inspirants, représentent mes principales phobies. Je dirais un taureau. Pour la petite anecdote on m’appelait le « Taureau d’Hanoï » sur les courts de tennis. Peut-être parce que je fonçais tête baissée dans le jeu et que quand ça ne se passait pas prévu je pouvais avoir des excès de colère qui me faisaient balancer ma raquette en l’air, au risque de la briser en mille morceaux. Mais j’aime aussi cet animal parce qu’il vit en groupe, il est très protecteur, généreux avec ses proches (j’imagine) et passionné.
Ragazzi, j’espère que ce deuxième portrait vous a plu et que vous en avez appris un peu plus sur la profession mal connue d’inspecteur général en banque. N’hésitez pas à me dire ce que vous en pensez en commentaire ! À très bientôt pour un nouveau portrait !
Félicitations Calixte ! Très bel article et très beau portrait de ce jeune Hugo Mach qui semble être un homme inspirant et qui gagne à être connu. En ce qui concerne son animal totem, au vu de l’interview et des réponses qu’il donne, la belette m’aurait semblé être la réponse logique ! Drôle de choix que celui du taureau.
Alexandre
Merci Alex ! J’ai été inspirée pour écrire par ce fabuleux personnage qu’est Hugo !
Concernant l’animal on a en effet évoqué la belette mais le taureau nous semblait plus approprié notamment quand il m’a raconté l’anecdote des courts de tennis 🙂